vendredi 10 août 2012

Comprendre le sens de mon engagement et son cheminement

A mon père  ...

Mon père, ce militant de l'ombre est pour moi une référence dans l’action militante.  Très intègre et homme de principe, il a été la fois discret par ses actes, et son engagement. J’ai sans doute suivi inconsciemment ses traces et mené les mêmes combats, pour le respect et la dignité, la liberté et la justice sociale. Pour lui, c’était pour là-bas, pour une Algérie indépendante, pour moi c’est ici, en Belgique, pays où je suis pratiquement née.

A mon père "Home de l'ombre", article que le CBAI www.cbai.be lui a consacré et publié dans son Agenda culturel de juin dernier.

Je remercie Nathalie CARIOLI et Jamila ZEKNINI pour cette belle évocation.
Je vous le livre avec beaucoup d’émotion le texte de nos deux auteurs.


Homme de l’ombre


Entretien
A 84 ans, Hocine Cherifi reste un homme de l’ombre. Non seulement parce qu’il a travaillé dans les entrailles de la terre comme mineur toute sa jeunesse, mais surtout parce que, dès 1948, il a milité, en France puis en Belgique, pour une Algérie indépendante. Ce n’est qu’au début des années 2000 qu’il a reçu pour toute reconnaissance de l’Etat algérien une médaille, assortie d’un abonnement gratuit aux transports publics du pays… la plupart privatisés ! Par devoir de mémoire, sa fille Ghezala a souhaité le sortir de l’ombre et faire connaître son engagement, un « gène » qu’elle semble avoir hérité. Voici quelques souvenirs du père à sa fille.

Lorsqu’il a cherché une femme à marier, son seul souhait était qu’elle soit fille de « chahid », fille de martyr. C’était en 1964, deux ans après l’indépendance de l’Algérie. Farida avait perdu son père pendant la guerre franco-algérienne ; Hocine l’a épousée. Quarante-huit ans plus tard, les yeux de Farida pétillent en regardant son mari : « Il est toujours dans mon cœur ! ».
Mais la fibre militante de Hocine Cherifi remonte bien avant ses noces. Il a dix-sept ans en 1945 lorsqu’il commence à suivre des meetings politiques sur l’avenir de l’Algérie. Dans son village natal de Nedroma, à un jet de pierre de la frontière marocaine, il assistait aux discours de penseurs qui osaient défier la police française. Un événement majeur le marque trois ans plus tard, en 1948 : les autorités françaises empêchent un certain Ahmed Ben Bella (le même qui deviendra le premier président de la République algérienne démocratique et populaire) de s’exprimer lors d’une grande manifestation, toujours à Nedroma.
Plus rien ni personne ne le retient en Algérie
Jeune, orphelin, désargenté, il quitte le pays en septembre 1948 pour la métropole, où un oncle l’accueille. Hocine a vingt ans lorsqu’il est embauché dans les charbonnages de Lens (Pas-de-Calais). C’est là qu’il devient le premier responsable du groupe « A21 », en référence au numéro du baraquement où il logeait à l’époque. Au départ, ils étaient vingt-cinq mineurs algériens qui manifestaient ouvertement leurs opinions politiques pour la libération de l’Algérie, peignant des slogans sur les murs et distribuant des tracts. Hocine se rappelle qu’il enfourchait son vélo avec un autre compagnon pour mobiliser la population algérienne, et pousser tous ceux qui servaient dans l’armée française à la quitter. Il commençait sa journée dans les charbonnages à 6 h, jusque 14 h, puis militait l’après-midi et le soir. « C’était un devoir », tout simplement.

Fiché par les autorités françaises, il perd son boulot ; il lui est interdit d’exercer tout autre activité pendant six mois. Peu intimidé, il poursuit son chemin et retrouve une place dans une autre mine, où il reconstitue une nouvelle section de militants. A nouveau fiché après une manifestation à Valenciennes, qui, cette fois, lui vaudra vingt-deux jours de prison – un souvenir qu’il évoque d’un léger revers de la main-, l’histoire se répète : perte du boulot et changement de cap géographique (il en profite pour rentrer trois mois en Algérie), mais également changement de cap politique. Car à sa sortie de prison, Hocine découvre les dissensions entre les pro-guerre contre la France et les anti. Il devra choisir son camp…

Après son retour éclair au pays, il débarque à Paris, direct à la Fédération des Algériens de France. Hocine se souvient que le groupe se réunissait au casino du boulevard Saint-Michel. Sans revenu, c’est la solidarité entre militants qui lui permet de vivre, le temps de décrocher un autre emploi, cette fois comme maçon à Lilles. Là il s’engage dans la section du MNA, le Mouvement national algérien. Pourtant, il n’est pas convaincu. Il manque d’information pour orienter sa conduite politique. Entre temps, les arrestations se poursuivent. Après quatre contrôles serrés, le commissaire divisionnaire « l’encourage » à changer d’air. 1955 : Hocine arrive à Mons, recommandé par le responsable du MNA en France. Tout un réseau efficace lui permet, à chaque fois, d’être hébergé et pris en charge.

Hocine explique alors, dans un sabir franco algérien, qu’il ne souhaitait plus exercer de responsabilité, vu le climat de confusion qui semblait régner entre les positions du MNA et du FLN. Les Algériens de l’extérieur, notamment de France, souffraient en effet d’un déficit d’information avec le pays et l’Egypte, là où s’était constitué le FLN fin 1953. Un émissaire partira donc en Algérie pour recueillir les nouvelles fraîches à la source sur les positions des différents mouvements. Quand se confirme que le FLN porterait les armes, tout le groupe de résistants de Mons rejoint le Front. Hocine aussi. Il poursuit son travail de mineur et de résistant. Les activités deviennent plus discrètes, voire secrètes, non par peur des autorités belges qui souhaitaient rester neutres, mais pour ne pas attirer l’attention des membres du MNA qui demeuraient majoritaires.
La mémoire de Hocine ne semble pas faillir pour citer les dates de la grande et de la petite histoire, ou pour décrire la hiérarchie de son organisation. Elle se déclinait ainsi en pyramide avec, au sommet, les cellules, suivies des groupes, sections, et zones. Hocine était chef de groupe. A chaque fois qu’on lui proposait « une promotion », il refusait parce que, illettré, il était conscient que cela poserait un problème.
Hocine avait une voiture, c’était au temps où le permis de conduire n’était qu’une formalité administrative. La nuit, à la frontière, il cueillait des responsables recherchés par les autorités françaises. Il les conduisait à Carnières où un autre résistant continuait la route jusqu’en Allemagne. Le travail ne se limitait plus à la propagande. Les militants allaient jusqu’à forcer la main aux Algériens pour qu’ils rallient la cause. Un groupe de choc était chargé de « secouer » ceux qui devaient l’être… « Sans moi ! », insiste Hocine.
La police française, peu soucieuse de la souveraineté de la Belgique, n’hésitait pas à s’infiltrer sur le territoire belge, parfois en pleine nuit, pour fouiller les maisons d’Algériens. Au point qu’en 1958, le gouvernement provisoire, créé par le FLN à Tunis, demanda au gouvernement belge de faire cesser cette ingérence française. De leur côté, les militants en Belgique distribuaient des tracts dans les bureaux de police, les cabinets d’avocats, auprès des responsables politiques, pour les sensibiliser à la cause des Algériens, soulignant le caractère immoral de cette guerre, et en particulier la généralisation de la torture. La police française finit par ne plus passer la frontière. Dernière étape : Marchienne-au-Pont. Hocine y devient responsable de la région. Il ne cache pas qu’il conduisait le groupe de choc là où il fallait intervenir, avant de s’éclipser car il ne pouvait moralement pas prendre cette responsabilité : « C’était le grand responsable qui décidait du sort des traîtres, s’ils seraient battus ou tués. »
C’est à Marchienne-au-Pont que lui et ses compagnons apprennent l’annonce de l’indépendance de l’Algérie : le 5 juillet 1962, après une guerre honteuse et meurtrière. Ils organisent aussitôt un banquet ! De cette fête, Hocine ne garde qu’une ou deux photos mal conservées. Tout le reste, ses archives, ses documents historiques, il les a détruits, un jour de colère froide, voyant ce que devenait son pays…
Urgence à sauvegarder cette mémoire
« Mon père a commencé à nous raconter son parcours de résistant sur le tard, par dose homéopathique. Il ne s’en est jamais vanté. Je devinais qu’il avait milité car j’entendais vaguement des commentaires à l’Amicale des Algériens, où je suivais des cours d’arabe et d’activités culturelles, et où mon père était un des responsables. »

Ce n’est que dans les années 1990, alors étudiante en sciences politiques à l’ULB, que Ghezala s’intéresse davantage à cette page de l’histoire de son père et de l’Algérie.
 « Je n’en parlais pas vraiment à mon père car les non-dits étaient encore présents, mais je prenais conscience qu’il manquait quelque chose dans mon cheminement. L’histoire de mes parents m’intéressait et, à travers eux, celle de mon pays d’origine. C’était aussi l’époque de mes premières années militantes à l’ULB, des combats pour la citoyenneté, je sentais en moi cette même volonté d’engagement. Les années passant, je voyais mon père et ses amis prendre de l’âge et certains nous quitter, chacun avec son histoire. J’ai voulu les mettre en lumière. En fondant l’asbl Les Amitiés belgo-algériennes, j’ai souhaité en cette année du 50e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, évoquer ce rappel de l’histoire, du dévouement de ces hommes et femmes pour la cause algérienne, mais aussi celui de nos amis belges. Ces militants de l’ombre qui portent en eux tout le poids de cette période de lutte : lutte pour un avenir affranchi et serein, lutte dans les méandres souterrains des mines de charbon, lutte pour la liberté... C’est mon devoir de mémoire. »

Propos recueillis par N. Caprioli & J. Zekhnini - 19/06/12 9:38:15 AG.nouv.304.indd 23 19/06/12 9:38:15


Ma Carte blanche qui a été publiée dans le journal Le Soir le 9 novembre 2004 pour le 50è anniversaire du déclenchement de la révolution algérienne - Hommage aux réseaux de solidarité belges durant la guerre d’Algérie.

Guerre d'Algérie : hommage aux réseaux de solidarité belges
LE SOIR -
EDITION DU MARDI 9 NOVEMBRE 2004

Ghezala Cherifi, Conseillère communale (PS, Saint-Gilles).

Le 1er novembre 1954 marque le déclenchement de la guerre d'Algérie. A Alger, on a mis les petits plats dans les grands pour commémorer cette date hautement symbolique dans la lutte vers l'indépendance.

La communauté algérienne de Belgique n'est pas en reste. Elle a décidé de marquer le coup, de se souvenir et de raconter aux plus jeunes ces moments d'espoir et de douleur. Avec cette insurrection de la Toussaint 1954 commence une longue et meurtrière guerre de libération qui sera finalement couronnée de succès, le 18 mars 1962, aux termes des accords d'Evian.

Les réseaux de solidarité belges avec l'Algérie ont écrit quelques-unes des très belles pages de cette lutte contre le colonialisme. S'il y a de nombreuses histoires parallèles qui mériteraient d'être racontées dans le récit de cette grande histoire de la guerre d'Algérie - toujours en gestation tant les plaies sont encore vives -, celle des militants belges anticolonialistes en fait certainement partie. J.-Cl. Donneux et H. Le Paige dans « Le Front du Nord. Des Belges dans la guerre d'Algérie » ont contribué à lever le voile sur le rôle de ces anonymes mais l'opinion publique connaît encore peu de chose de ces hommes et de ces femmes qui ont organisé en Belgique une solidarité des plus actives avec les combattants algériens. Ainsi, dans la foulée de leur découverte de la cause algérienne, un certain nombre de ces militants fondent le Comité pour la Paix en Algérie qui, clandestinement, vient directement en aide au Front de libération nationale (FLN).

Pierre Le Grève est la cheville ouvrière du Comité dès 1955. Mais il est épaulé et accompagné par bien d'autres, parmi lesquels Jean Van Lierde, Paul-Henri Spaak, Marcel Liebman, Serge Moureaux et Roger Lallemand (tous deux avocats), Philippe Moureaux (à l'époque syndicaliste), Guy Cudell, Jacques Nagels, etc. Sur le tard, on retrouvera aussi, et alors qu'il n'est encore que lycéen, Mateo Alaluf. Parmi les femmes : Jacqueline Carré, Micheline Pouteau, Hélène Cuénat, Cécile Draps. Et du côté Flamand, on retrouve par exemple Wilfried Martens, alors président des Etudiants flamands, qui se manifeste également en faveur de l'Algérie indépendante. Tous ces militants courageux prennent des risques considérables en s'exposant à des attentats de représailles sur le sol belge, mais ils manifestent surtout une grande efficacité d'action. Aux côtés de ces réseaux militants, d'autres réseaux jouent également un rôle important : ce sont les travailleurs immigrés. Des travailleurs algériens sont présents dans les régions minières du Borinage, de Charleroi, de Liège dès l'entre-deux guerre.

Un accord de recrutement de la main-d’œuvre algérienne sera également signé avec la Belgique en 1970, mais ils sont en réalité très nombreux à s'être installés spontanément dans les années 1950 après avoir transité par la France. C'est que l'émigration était la voie la plus sûre pour échapper à l'enrôlement contraint dans l'armée française. Plus politisés que leurs homologues marocains, qui viendront en nombre après la signature des accords belgo-marocains de 1964, les jeunes travailleurs algériens sont aussi souvent de jeunes militants politiques pleinement acquis à la cause de l'indépendance. Après une journée de labeur au fond de la mine, ces jeunes Algériens occupaient l'essentiel de leur temps à s'activer dans des réseaux de soutien au FLN.
A l'écoute du récit de nos pères, qui furent de ceux-là, le combat prenait une dimension où la clandestinité, le secret, la loyauté envers les compagnons et la fidélité à la cause étaient des valeurs absolues. Leur mission consistait également à exfiltrer vers la Belgique, les Pays-Bas et l'Allemagne, les militants algériens recherchés par les autorités françaises...

A l'heure où l'on s'interroge sur l'occupation de l'Irak et de la Palestine, cette commémoration de l'insurrection de la Toussaint 1954 est une formidable occasion pour rappeler que le sens profond des valeurs de solidarité, de fraternité, d'amitié entre les peuples, de paix et d'humanisme se révèle dans l'action. Les réseaux de solidarité belges dans la guerre d'Algérie ont donné vie à ces valeurs et nous lèguent en héritage de précieux repères pour nos actions futures. Car plus près de nous, l'intolérance, la montée de l'extrême droite et les communautarismes minoritaires en tous genres nous rappellent que cette éthique doit continuer à nous animer tous les jours au-delà de nos appartenances.





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